Je voulais tout d'abord écrire bien entendu un tout autre article, mais finalement les doigts ont commencé à écrire tout seuls...
Je suis fille de Charlie.
En effet mon père était un journaliste engagé ("contre la connerie et contre le déni du bienpensant" , comme il disait) qui écrivait pour que le citoyen soit informé.
Souvent sous forme de polémique, ce qui lui a valu pas mal d'ennuis avec la justice de son pays : pour subversion, opposition non conforme aux codex en vigueur, et j'en passe...
Les sujets qu'il abordait étaient considérés comme subversifs et contraires à la déontologie de certains : l'organisation de l'état (gros contrats), des mélanges entre partis politique et hommes d'affaires, histoires de sectes, rémunérations diverses et variées de nos personnalités, secrets d'état et j'en oublie un certain nombre.
Il appartenait à ces journaliste d'investigation qui "dégottent" les secrets les mieux gardés et qui les sortent à la une des journaux sérieux afin que tout le monde soit au courant et que le citoyen lambda ne puisse plus dire : "Je ne savais pas".
Il s'est retrouvé de nombreuses fois devant les juges pour ses écrits, condamné parfois, absous à d'autres, selon les juges et leur "ouverture" d'esprit.
Il aimait être iconoclaste et un poil à gratter, cela le faisait vivre et vibrer, c'est pour cela qu'il écrivait.
Il était d'ailleurs très connu à l'époque, et beaucoup de ses confrères lui reconnaissaient un certain pouvoir à bousculer les consciences.
Nous avons étés protégés parfois par les forces de l'ordre, il avait mis son nez là où il ne faillait pas, des menaces pesaient souvent sur nous, des écoutes téléphoniques ont été organisés, le courrier lu.
Mais cela
ne comptait plus lorsqu'il "sortait" un scoop dans lequel il épinglait
un gros poisson et il nous faisait partager sa joie en disant que la démocratie avait encore gagné un petit morceau de ciel pur contre l'obscurantisme.
Mais un beau jour de juin 1972 il a fallu se rendre à l'évidence : cet électron libre,cette grande gueule de journaliste, fouineur et trouveur de scandales en tout genre, découvreur de secrets avait mis la main et le doigt sur une très grosse affaire.
Il a fallu quitter le pays en catastrophe car il risquait la prison à vie et cela a mis fin, pour un temps, à son engagement journalistique et politique.
Nous avons laissé derrière nos amis, copains et famille lorsqu'il a fallu s'expatrier.
Nous avons laissé derrière nos amis, copains et famille lorsqu'il a fallu s'expatrier.
Mais on a découvert de nouvelles choses, de nouveaux horizons à explorer.
Mais il nous a appris quelque petites choses ce papa hors normes:
- ne jamais croire tout à fait ce qu'un politicien te dit,
- tirer ses propres conclusion, être critique,
- être vigilant quand on essaye de te faire taire,
- oser ouvrir la bouche lorsqu'on voit, entend des propos ou des actes contraires à la démocratie,
- aller voter, c'est un acte citoyen de premier ordre et un permis à critiquer,
- oser lire, écouter, écrire, chanter ce qui n'est pas "de bon ton" si c'est ce à quoi on croit.
Mais surtout il nous a toujours demandé, a nous ses quatre enfants, d'être ouverts, de nous intéresser à ce qui se passait de l'autre côté de la barrière, du mur, et si possible, d'être aussi insoumis que lui.
En ce, il faisait partie des Charlie de notre époque.
Je ne sais pas ce qu'il aurait écrit au sujet de ce qui vient de se passer, il nous a quittés depuis bientôt 20 ans, mais je sais avec certitude qu'il aurait été une plume au vitriol.
Il connaissait particulièrement bien le Moyen Orient de l'époque, il parlait arabe, et était le correspondant de l'agence Reuters pour tous les sujets du Moyen Orient.
Je sais aussi qu'à l'occasion de la guerre du Kosovo et pour la 1ère guerre du Golfe il pensait que ce n'était qu'un début et que bientôt nous aurions les mêmes sur notre sol en Europe...
Plein de pensées pour ton père et tous les journalistes disparus qui vont désormais bien se marrer avec les nouveaux arrivants Charlie...Grosses bises.
RépondreSupprimerOh que oui qu'ils vont se marrer ! Nous moins, car Charlie va nous manquer, jusqu'à ce que d'autres prennent la relève et c'est cela qui est le plus important. Il y aura toujours des Charlie !
SupprimerIl t'a appris des choses essentielles ton papa ! Bel article !
RépondreSupprimerMerci.
SupprimerUn bel article, un bel hommage tout à fait à propos !
RépondreSupprimerOUi il y aura toujours des Charlie mais c'est toujours aussi douloureux de perdre...
je veux dire de perdre des vies humaines (pardon je viens de me relire c'était pas clair)
RépondreSupprimerJ'avais compris Brindille. Oui tu as raison il est douloureux de les perdre mais je suis certaine qu'on va en gagner d'autres et encore plus incisifs.
SupprimerUn très bel hommage à ton papa et à Charlie. Heureusement qu'il y a des gens comme eux. On a besoin d'eux.
RépondreSupprimerTu as raison nous en avons besoin, mais à notre niveau nous pouvons être des Charlie.
SupprimerMerci Sabina pour ce très bel hommage à ton Papa et à tous les Charlie, ces personnes courageuses, engagées et éprises de justice qui refusent de se taire devant l'impensable... Merci à eux tous... Je t'embrasse, Shuki
RépondreSupprimerMerci Shuki
SupprimerCoucou Sabina, merci beaucoup pour ce bout de vie privée touchant et de circonstance que tu viens de partager avec nous. Ton père avait l'air d'être une personne hors normes, je crois que c'est quelqu'un que j'aurais aimé connaître. Heureusement qu'il y a des gens comme lui et ceux de Charlie pour ouvrir leur gueule quand il le faut et apporter la vérité aux citoyens même au péril de leur vie. En retour, à nous de les défendre quand l'obscurantisme les menace...
RépondreSupprimerJe t'embrasse bien fort.
Merci pour ce commentaire. J'en parle rarement car comment faire partager une telle enfance...
SupprimerMais bon, c'est comme pour cette journée : il en restera toujours quelque chose, à nous de la faire pousser.
Merci Sabina pour ce témoignage fort, et digne, que ton père aurait lu avec fierté...
RépondreSupprimerSolidairement
Il aurait souri dans sa moustache... Et n'aurait probablement pas dit grand'chose, il était pudique avec les choses qui le touchaient de trop près.
SupprimerBises
Tendre confession, morceau intime. Quelle "belle" histoire, doux hommage aux Papas Charlie.
RépondreSupprimerMerci pour cet instant (pour ne pas paraphraser Valoche)
Bises
Merci Greg.
SupprimerUn commentaire tardif, mais très ému par cette page d'histoire personnelle mêlée à l'Histoire avec un grand H.
RépondreSupprimerLes semaines passent, mais les Cabu, Wolinski, et autres Maris nous manqueront toujours. Tu dois beaucoup admirer ton père.
Papa se marre avec les autres assis sur son nuage et ils doivent tous être en train de refaire le monde façon 1968 !
SupprimerTrès certainement avec un tas de volutes de clopes et de bonnes bouteilles, lol.
Mais c'est vrai que les poils à gratter sont en voie de disparition depuis quelques temps et cela va se voir de plus en plus.
Bises Michèle.